Seattle, terre du rock alternatif et berceau du grunge

De Jimi Hendrix à Nirvana, en passant par Alice In Chains, Pearl Jam ou le mythique label Sub Pop, la ville de Seattle occupe une place de choix dans la culture musicale américaine. Mais comment la Cité Émeraude a-t-elle réussi à s’imposer comme l’un des foyers majeurs du rock alternatif d’hier et d’aujourd’hui ? Rapide tour d’horizon.

La scène musicale de Seattle : entre avant-gardisme et contre-culture


Si aujourd’hui, Seattle rime inévitablement avec grunge, la ville de l’État de Washington renferme un passif musical bien plus riche qu’il n’y parait. Connue pour son avant-gardisme et son ouverture d’esprit, la métropole du nord-ouest des USA sera une véritable terre d’accueil du jazz au milieu du XXe siècle, popularisant des légendes telles que Ray Charles ou encore Quincy Jones, alors musicien pour un groupe orchestré par Bumps Blackwell, figure afro-américaine du jazz à Seattle. À noter que durant la Prohibition, Seattle était une ville plutôt tolérante en ce qui concernait la consommation d’alcool et l’apparition de bars clandestins, qui permettront à de nombreuses formations, comme le Whangdoodle Orchestra, de se faire un nom. Vous l’aurez compris, le jazz afro-américain et Seattle, c’est une grande histoire d’amour !

C’est quelques dizaines d’années plus tard que la ville pluvieuse va commencer à se construire une réelle identité culturelle. Au début des 60’s, Seattle deviendra l’épicentre de la musique populaire dans le nord-ouest des États-Unis. Des groupes de rock’n’roll locaux comme The Fabulous Wailers, The Frantics ou The Ventures connaîtront un certain succès, mais c’est bien Jimi Hendrix qui saura le mieux tirer son épingle du jeu. Bien que sa légende ne se construira principalement qu’après son départ pour l’Angleterre, le guitariste reste aujourd'hui l’une des icônes majeures de Seattle (et ça, on est presque sûr que vous ne le saviez pas !).

Entre les 70’s et les 80’s, la scène musicale de la Cité Émeraude va véritablement exploser, tout en façonnant son esthétique alternative, celle qui posera les fondations du mouvement grunge tel qu’on le connait aujourd'hui. Le mouvement de contre-culture punk va connaître une vraie effervescence dans la ville, avec des groupes de punk hardcore comme Solger, The Telepaths, The Enemy ou Chinas Comidas, qui joueront dans des lieux emblématiques du genre, comme The Bird, The Showbox ou The Gorilla Room. Seattle verra également naître quelques-uns des premiers groupes estampillés heavy metal ou hard rock, comme Queensrÿche ou Heart, pour ne citer qu’eux. Autant de formations qui inspireront le son brut, saturé, contestataire et agité de toute la scène grunge à la fin des 80’s.

 

 

De Nirvana à Pearl Jam : la naissance du mouvement grunge


Comme tout mouvement majeur de l’histoire de rock, le nom « grunge » tient son origine de plusieurs théories plus ou moins crédibles. Si le terme « grungy » (signifiant « sale ») fait son apparition dans les 60’s pour qualifier certaines formations rock de l’époque, il n’est pas utilisé ici pour désigner une scène à proprement parler. L’utilisation du terme « grunge » comme genre à part entière remonterait plutôt à 1981. Mark Arm, alors chanteur du groupe de Seattle, Green River, aurait décrit son side-project M. Epp pour le fanzine Desperate Times comme étant « Pure grunge! Pure noise! Pure shit! ». Une drôle de manière de vendre son groupe, on vous l’accorde. Quelques années plus tard, c’est le mythique label local, Sub Pop, qui popularisera le terme en signant les groupes les plus importants du genre.

Justement, Sub Pop, parlons-en ! Créé en 1986 à Seattle par le journaliste Bruce Pavitt et le tourneur Jonathan Poneman, le label indépendant reste encore aujourd'hui l’un des plus populaires et influents de toute l’histoire de la musique. Il sera véritablement à l’origine du mouvement grunge, en signant des formations hybrides entre le punk rock et le heavy metal, au son distordu, sale et parfois chaotique, bannissant presque totalement les solos de guitare. Parmi eux, on peut citer notamment Nirvana (pour son premier album Bleach de 1989), Soundgarden, Alice In Chains, Pearl Jam, Mudhoney ou encore Tad. La grande majorité de ces signatures sont originaires de Seattle, apportant un véritable coup de projecteur sur la ville durant la popularisation du mouvement au début des 90’s.

Véritable monument de l’histoire du rock, Nevermind de Nirvana va plonger le grunge dans une dimension internationale à partir de 1991. Kurt Cobain, alors devenu une icône du genre, inspirera toute une génération (la « Génération X »), avec son look « slacker », ses textes torturés et sa rage bestiale. L’influence du grunge sur la scène rock de l’époque se manifestera également dans d’autres mouvements, et notamment celui du féminisme. Le mouvement Riot grrrl en est probablement l’exemple le plus marquant, mettant en lumière des groupes comme Bikini Kills, The Smashing Pumpkins (et ses bassistes D'arcy Wretzky et Melissa Auf der Maur), L7, Hole ou encore Babes in Toyland. Puisqu’on vous disait que Seattle était une ville ouverte et tolérante !

 

État d’esprit et influences contemporaines


Si le grunge est avant tout un genre (bien que l’ami Kurt Cobain ne l’a jamais considéré comme tel), il se caractérise aussi par une philosophie et des codes esthétiques bien spécifiques. On l’assimile souvent à un certain pessimisme générationnel, lié à la précarité des jeunes adolescents de l’époque, mais aussi à un état d’esprit anti-capitaliste ou anti-consumériste. Une philosophie qui engendrera un sentiment de désillusion, de dépression ou de frustration chez toute une partie de la jeunesse grunge, dont le terrible suicide de Kurt Cobain en 1994 fera tristement écho.

Le mouvement grunge, c’est également une question de look ! Allant à l’encontre de la mode - bien que le succès commercial du genre l’est indirectement poussé à en devenir une - il se caractérise principalement par le port de cheveux longs, de larges chemises en flanelle, de jeans troués et de baskets usées. Un style je-m’en-foutiste, sans règle, au carrefour des tendances punk et hippies, que beaucoup d’artistes contemporains revendiquent aujourd’hui, de Billie Eilish à Courtney Barnett, en passant par Mac DeMarco ou nos petits Français de Th Da Freak.

Bien que le mouvement grunge se soit fortement estompé depuis la fin des 90’s, il continue tout de même de perdurer furtivement au sein de nombreuses formations depuis plus de trente ans. Des figures made in Seattle comme Dave Grohl (ex-batteur de Nirvana et leader des Foo Fighters), Eddie Vedder (leader de Pearl Jam) ou feu Christopher Cornell (chanteur de Soundgarden, Audioslave et de Temple of the Dog) ont aidé à conserver l’esprit grunge dans le carcan du rock moderne. Plus récemment, toute une scène post-grunge à également fait son apparition, avec des artistes originaires de Seattle, comme The Presidents of the USA ou Car Seat Headrest, ou de tous autres horizons, comme Nickelback, Seether, Creed ou Hinder. L’esprit « Think for yourself » ne meurt jamais !