‘Let It Bleed’ des Rolling Stones : entre transition et quintessence

Retour sur le huitième long-format pivot de la carrière des Londoniens...

 

 

La passation entre Brian Jones et Mick Taylor


1968. Les Rolling Stones viennent d’éclipser leur aventure psychédélique controversée (‘Their Satanic Majesties Request’, 1967) par un premier chef-d’oeuvre : le contestataire et rugissant ‘Beggars Banquet’, fondateur de leur identité sonore. À cette période, les égarements narcotiques du leader d’origine du groupe, Brian Jones, commencent déjà à faire parler d’eux. Le reste de la bande, lui, commence à effleurer la quintessence de son art. Pendant près d’un an, les Stones iront enregistrer ‘Let It Bleed’ entre Londres et Los Angeles, partiellement sans leur petit génie excentrique.

C’est au milieu du processus créatif, en mai 69, que les Londoniens décident finalement de lui trouver un remplaçant en la personne de Mick Taylor. Brian Jones, alors complètement dans la tourmente, est définitivement exclu de la formation un mois plus tard. Pas de grande incidence sur le disque cependant, puis qu’il ne sera crédité que sur deux titres : « You Got the Silver » (à l’autoharpe) et « Midnight Rambler » (aux percussions). Triste coup du sort, le célèbre joueur de sitar sera retrouvé (mystérieusement) mort dans sa piscine quelques semaines plus tard, n’ayant donc jamais connu la sortie de sa dernière collaboration avec les Stones.

Néanmoins, on ne peut pas dire que son successeur lui ait véritablement volé la vedette ! Le slide caractéristique de Mick Taylor ne se fait également entendre que sur deux morceaux : « Country Hook » et « Live with Me ». Et si la passation entre les deux hommes fait un peu l’effet d’un pétard mouillé, c’est aussi parce qu’un autre Stones canalise ici toute l’attention : Keith Richards.

 

L’apogée créatif de Keith Richards


‘Let It Bleed’, c’est une rage dévorante, une délicieuse malsanité et une moiteur sexy, portées par les tubes intemporels « Gimme Shelter », et ses chœurs frissonnants signés Merry Clayton, ou l’indémodable « You Can't Always Get What You Want ». Mais il est tout de même bon de rappeler qu’il s’agit aussi, et avant tout, du disque phare de Keith Richards.

Au milieu de la passation tumultueuse entre Brian Jones et Mick Taylor, le guitariste intervient comme un sauveur. En véritable touche-à-tout, Keith guide l’album de son doigté légendaire, influencé par le jeu Ry Cooder. De ses riffs caractéristiques (« Midnight Rambler », « Monkey Man ») à ses compositions les plus émouvantes (« You Got the Silver », écrit pour sa compagne de l’époque, Anita Pallenberg, et dont il est l’unique chanteur), le guitariste est à son apogée. Plus qu’un chef-d’oeuvre des Rolling Stones, ‘Let It Bleed’ est avant tout la merveille de Keith Richards.

 

Une pochette culte


Que serait ‘Let It Bleed’ sans son iconique pochette ? Toujours un excellent disque, nous diriez-vous. Mais il est tout de même difficile de parler du huitième long-format des Stones sans évoquer le milles-feuilles surréaliste qui trône sur sa cover.

Initialement, cette dernière devait être dessinée par Maurits Cornelis Escher, sur demande de Mick Jagger. Mais l’artiste néerlandais refusera la prestigieuse tâche. C’est finalement le graphiste américain Robert Brownjohn, une vieille connaissance de Keith Richards (encore lui !), qui imaginera ce « vinyle-dessert » aussi appétissant qu’étrange. Au verso, celui-ci se retrouve complètement déstructuré, comme pour faire écho à la célèbre phrase inscrite à l’intérieur de la pochette : « This record should be played loud ». Un sans-faute.