L’histoire de Depeche Mode

Impossible de ne pas penser à la new-wave sans penser à Depeche Mode, et pour cause, le trio est une référence en la matière. Bien au-delà du genre, la formation britannique est un véritable mastodonte : il faut avoir vécu reclus sur une île déserte pendant quarante ans pour ne pas en avoir entendu parler. Just Can’t Get Enough, Personal Jesus ou encore Enjoy the Silence, pour ne citer qu’eux, enchantent autant le mélomane aussi bien que le simple auditeur de passage. Et si son histoire aurait pu couper court à quelques reprises, le colosse tient toujours debout et demeure une influence de taille qui enveloppe une bonne partie des artistes qui nous font saliver. D’Interpol à The Horrors en passant par Rammstein, c’est toute une galaxie qui revendique l’influence du groupe dans ses compositions et dans ses sonorités. Retour sur l’histoire d’une formation quadra-légendaire.

 

Débuts avec Vince Clarke

Vers la fin des années 70, les amis Andrew Fletcher et Vince Clarke se lancent dans un projet musical, articulé autour des synthétiseurs, alors que le monde a les yeux rivés sur les guitares du punk rock. Bientôt rejoints par Martin Gore, ils sont à la recherche d’un chanteur, car aucun des trois musiciens ne veut s’adonner à cette tâche. Ils trouvent leur bonheur en la personne de Dave Gahan, qui, inspiré par le magazine de mode français Dépêche Mode, donnera le nom Depeche Mode (sans accent) au groupe.
Leurs débuts sont délicats : leur goût trop prononcé pour les synthés, selon les maisons de disques, les met à l’écart de tout studio d’enregistrement. Mais deux personnes vont être la rampe de lancement de cette jeune formation. Tout d’abord, Stevo Pearce, manager de Soft Cell, qui, conscient du potentiel qui réside en Depeche Mode, fait figurer leur morceau Photographic sur une compilation. Puis Daniel Miller qui les repère en première partie de Fad Gadget et n’hésite pas à leur tendre le stylo pour signer un contrat pour son jeune label Mute Records.
De cette collaboration nait Speak & Spell, premier album du groupe, principalement écrit par Vince Clarke. Nous sommes en 1981 et le son de Depeche Mode est alors résolument kraftwerkien, mâtiné de pop voire de disco, avec des sonorités très orientées vers l’électronique : seuls synthés et boîtes à rythmes accompagnent la voix de Gahan. Pas de temps mort, le succès est vertigineux, porté par les titres New Life et surtout Just Can’t Get Enough, tube planétaire. Ce dernier est, quarante ans plus tard, toujours un incontournable du groupe, du genre et des 80s (ce n’est pas pour rien que la soirée new wave du Supersonic porte son nom et qu’il fait partie des titres qui ont le plus résonné dans les enceintes du club). Après ce tabac, coup de théâtre, Vince Clarke quitte le groupe pour se concentrer sur un nouveau projet : Yazoo. Cette nouvelle n’arrange guère Depeche Mode, qui se retrouve orphelin de son songwriter principal. Déjà le début de la fin ?

 

Martin Gore prend le relais

Que nenni ! Martin Gore décide de prendre ses responsabilités et de se lancer seul dans l’écriture des morceaux, lui qui n’était que suppléant dans ce rôle pour le premier album. Et un an après la sortie de Speak & Spell, A Broken Fame est dans les bacs. On est beaucoup moins dans la machine à tubes que le premier opus, avec un son plus sombre et solennel, toujours porté par les synthétiseurs et boîtes à rythmes. En parallèle de l’enregistrement de l’album, Depeche Mode recrute Alan Wilder aux claviers. Il ne figure pas sur ce disque, mais il sera d’une aide précieuse dans les studios pour les opus suivants.
Construction Time Again confirme le virage plus sombre, plus industriel et plus travaillé de Depeche Mode et l’influence d’Alan Wilder, musicien expérimenté, se fait sentir. En témoigne le très sophistiqué Everything Counts qui deviendra un indispensable de la discographie du groupe. Les mélodies pop sont contrebalancées par la noirceur des instrumentations, un clair-obscur qui fera la marque de fabrique de la formation. Some Great Reward et surtout Black Celebration, poursuivent l’évolution du groupe dans des sonorités industrielles. Nous sommes désormais loin de la synthpop relativement légère du premier album. C’est aussi à cette époque que le look de Depeche Mode, sous l’impulsion du photographe et réalisateur Anton Corbijn, devient plus so(m)bre.

 

 

 

Plus près des étoiles

En 1987, le groupe prend la direction de la France pour le studio Guillaume Tell afin d’enregistrer une partie de ce qui le propulsera plus haut qu’il ne l’a jamais été : Music for the Masses. Depeche Mode poursuit son aventure dans l’expérimentation et le fait avec brio sur cet opus qui flirte avec la perfection. Plus pop et moins industriel que les disques précédents, cet album n’en demeure pas moins sophistiqué. Never Let Me Down Again devient rapidement un hymne de stade tandis que Strangelove donne une irrépressible envie de danser. Le disque regorge de pépites, à l’instar de la complainte Little 15, qui monte en puissance au fil des minutes, ou Sacred à la ligne de basse redoutable. Avec ce sixième essai, la formation est projetée dans une autre dimension et fait partie des mastodontes de l’industrie musicale, tous styles confondus.

Il faudra cependant attendre 1990 pour voir Depeche Mode – qui nous avait habitué à un disque par an – sortir un nouvel album, et quel album ! Sans doute le plus abouti, Violator va en rajouter une couche et envoyer le groupe au firmament de l’histoire de la musique contemporaine. Deux des plus gros cartons de leur histoire figurent sur ce disque : le torride Personal Jesus et l’envoûtant Enjoy the Silence. Mais ce serait dommage de résumer ce chef d’œuvre en ces deux seuls titres : World In My Eyes, Blue Dress, Policy of Truth, Clean… Violator est truffé de perles, qui s’enchaînent de manière prodigieuse. On pensait que Depeche Mode avait atteint ses limites avec Music for the Masses, mais son successeur fait bien mieux que transformer l’essai. Le plafond de verre vole en éclats.

 

Déclin, doutes et renouveau

Il faudra de nouveau attendre trois ans pour que les figures de proue de la new-wave sortent un nouvel album : Songs of Faith and Devotion. Sans dépasser Violator, ce disque reste sur des standards très élevés, administré par un groupe toujours dans cette quête de renouveau. On évolue dans un registre plus théâtral, plus ancré rock, aux saveurs parfois gospel. Une certaine noirceur, reflétant les tensions grandissantes au sein de la formation, déteint sur tous les morceaux, et est annonciatrice de lendemains loin d’être joyeux. En effet, au milieu des années 1990, Depeche Mode est au bord de l’implosion : Wilder claque la porte, et la consommation de drogues de Dave Gahan à cette époque ferait passer Pete Doherty pour un enfant de chœur. Il fait une tentative de suicide, puis manque de succomber d’une overdose de speedball (mélange d’héroïne et de cocaïne, à des années lumières du Rock n’Roll Suicide du Supersonic en termes de cocktails ravageurs).

Le chanteur entame alors une énième cure de désintoxication et le groupe sort enfin la tête de l’eau avec la sortie d’Ultra, porté par l’excellent single It’s No Good. Un retour bienvenu à des sonorités plus industrielles, avant une parenthèse résolument pop avec Exciter, suivie, une nouvelle fois, par un retour à la new-wave organique sur Playing the Angel. En 2009, un Sounds of the Universe de très bonne facture, porté par le glacial Wrong, montre une fois de plus que le fil des années ne semble pas altérer Depeche Mode.
Les années 2010 sont ponctuées par la sortie de deux albums, Delta Machine et, le dernier en date, Spirit, tous deux très bien reçus par les fans et la critique. Sur scène, le groupe véhicule toujours une énergie folle et Dave Gahan assume toujours son rôle de frontman charismatique : voix quasi intacte, tout comme son enthousiasme. Difficile d’imaginer qu’un quart de siècle plus tôt, il était ravagé par les substances et que l’avenir de Depeche Mode ne tenait qu’à un fil.

A l’aube des années 2020, le groupe est introduit au Rock and Roll Hall of Fame, ce qui ne souffre d’aucune contestation, tant la contribution de ces Anglais à la musique a été immense. Quarante ans et pas une ride, cela force le respect !